Entretien avec Jackie Chan pour le magazine Forbes

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Voici la traduction d’un article écrit par Zack O’Malley Greenburg pour le très populaire et sérieux magazine économique Forbes du mois de juillet 2015 :

Enfermé dans l’une des suites les plus chères de Beverly Hills, au Montage Hôtel,  la star du cinéma d’action, Jackie Chan semble vouloir parler de l’économe qu’il est. Affublé d’une chemise arborant un logo de sa propre marque de vêtement, il me conduit dans la grande salle de bain de sa suite d’hôtel et prend un savon usé à partir d’un sac en plastique, expliquant qu’il vient de sa chambre au MGM Grand de Macao plutôt que le jeter inutilement: « Ce savon me suit partout dans le monde ».

Le message que veut délivrer Jackie Chan est qu’il est un défenseur de l’environnement  il a récemment tourné des publicités visant à décourager les consommateurs chinois d’acheter des produits fabriqués à partir de tigres et de rhinocéros braconnés. Mais la vraie métaphore dans ce savon est de savoir comment celui-ci, et plus spécifiquement, Jackie Chan – fait le pont entre les Etats-Unis et la Chine.

Un moment omniprésent à Hollywood, Chan n’a pas tourné de film américain depuis cinq ans. Pourtant, il a gagné environ 50 millions de dollars sur les 12 derniers mois. C’est plus que tout acteur dans le monde hormis Robert Downey Jr. et c’est suffisant pour atteindre la place n°38 dans le classement FORBES des 100 célébrités, juste derrière le golfeur Tiger Woods.

Ce qui signifie ? Il fait partie des quelques privilégiés ayant une vraie compréhension des fondamentaux dans le business cinématographique et ce, sur les deux côtés du Pacifique et il utilise cette connaissance, à 61 ans, pour passer des accords judicieux.

jcforbes2015

Prenons le film Dragon Blade. Jamais entendu parler ? Logique: Il n’est pas encore sorti aux États-Unis, malgré la présence de co-vedettes bien connues comme Adrien Brody et John Cusack. Mais le film a un succès énorme en Chine, rapport pas moins de 120 M$ au box-office, et Chan, la vedette principale, négocie un accord de retour sur investissement qui lui a fait probablement rapporté plus de 10 M$. Plus tard cette année, on va retrouver Jackie Chan aux côtés de Johnny Knoxville dans Skiptrace, une coproduction Est-Ouest qui a du potentiel à la fois aux États-Unis et en Chine, et pour lequel Chan est à la fois producteur et acteur.

Pendant ce temps, Chan possède assez d’extensions de marque pour faire rendre le rappeur américain Jay-Z jaloux. Oui, le merchandising lié à Jackie Chan n’est pas une petite entreprise, logique lorsque vous êtes l’artiste martial le plus connu depuis Bruce Lee et aussi un concessionnaire Segway et propriétaire d’une chaîne de cinéma qui porte votre nom. Entre tous le cinéma et toutes les activités, FORBES estime que Jackie Chan a amassé une valeur nette de quelque 350M$ ! Chan et son équipe ont refusé de commenter ces chiffres.

« Jackie Chan est le Mickey Mouse de la culture chinoise, une célébrité qui est si omniprésente que son nom est devenu un raccourci », explique Grady Hendrix, cofondateur du Festival du Film Asiatique de New York.

En fin de compte en Chine, tout tourne autour du gouvernement chinois. Jackie Chan a une arme secrète dans tout ce gain : l’adhésion à la Conférence consultative politique du Peuple chinois, un conseil de gouvernement très influent. Pékin a permis à tous les films de sortir en Chine.

Jackie Chan a une position de plus en plus puissante. Les cinémas chinois ont augmenté à un taux près de 33% au cours des cinq dernières années, générant un peu moins de 5 milliards de dollars en 2014 ; En terme de recettes mensuelles au box-office, le mois de Février a permis à la Chine de dépasser les recettes mensuelles des États-Unis et tandis qu’un blockbuster américain peut atteindre le demi milliard en Chine, les pouvoirs publics bloquent parfois durant plusieurs semaines la sortie des films étrangers ou les sortent les uns contre les autres au même moment. En conséquence Hollywood se tourne vers des coproductions avec des producteurs chinois. Tranformers 4: L’Âge d’Extinction et Iron Man 3 sont parmi les exemples les plus réussis.

Tout cela permet à Jackie Chan d’être le maître des lieux. Un homme surnommé « Big Brother » par ses compatriotes. Sans ironie.

« Je regarde toujours la carte du monde », dit Chan, décrivant un monde imaginaire. « Pourquoi ce côté est le vôtre et ce côté est le mien ? Qui a conçu la frontière ? Je pense que le monde nous appartient. L’Amérique m’appartient. La Chine vous appartient ».

L’éducation de Chan est compatible avec de tels discours. Il est né à Hong Kong sous le régime britannique en 1954. Ses parents travaillaient dans la cuisine de l’ambassade française avant de décamper pour l’Australie. Plus tard, il a appris que son père avait été un espion pour Taiwan.

Chan a été envoyé à l’Ecole de l’Opéra de Pékin où il a étudié les arts martiaux et l’acrobatie sous la direction d’instructeur impitoyables. « Quand vous faisiez une erreur, tout le monde se faisait frapper » se souvient-il. « Parfois, ils me frappaient sans raison ». Il a passé des années à rebondir entre des boulots dans le bâtiment en Australie et des tentatives vaines dans l’industrie du cinéma de Hong Kong. A 20 ans, il reçoit un télégramme pour un rôle dans un nouveau film. Ses parents lui donnent alors un ultimatum, deux dernières années pour se faire un nom dans l’industrie du cinéma HK. Il s’agira du classique de 1973, Opération Dragon avec Bruce Lee pour lequel Jackie a obtenu un petit rôle.

Par la suite, le premier défi de Jackie Chan était de se distinguer de Bruce Lee. Pour ce faire, il a développé un style personnel totalement différent de la légende à laquelle il est le plus souvent comparé. Alors que Bruce Lee était connu pour ses mouvements précis et son sérieux, Chan a étudié Charlie Chaplin et Buster Keaton, aiguisant son humour et en adoptant une approche burlesque. « Je voulais que tout le monde me suive », dit Chan, « Je ne veux pas suivre tout le monde ».

Lorsque la Chine s’est ouvert dans les années 1990, Chan pouvait enfin profiter de son succès, en ouvrant des cafés, des gymnases et se lançant même dans une carrière de chanteur réussie. En 1998, il crait Jackie Chan Design, dont le site Internet colporte actuellement plus de 400 articles différents de la bouteille d’eau aux montres et stipulant que tous les objets « sont conçus exclusivement par M. Jackie Chan. »

À partir de 1995 avec Jackie Chan dans le Bronx, Jackie Chan est devenu un nom très populaire en Amérique. Avec Rush Hour en 1998, partageant l’affiche avec Chris Tucker, il est devenu une star mondiale qui était le plus gros de succès de l’histoire au box-office du 1er week-end d’exploitation pour une comédie. Le film atteindra 140 M$ aux États-Unis et fera 100 M$ à l’étranger. Même si une telle scission nationale-internationale est typique de nos jours, c’était beaucoup plus rare à l’époque. Chan rappelle: « Le box-office américain était le box-office mondiale » ajoute le réalisateur Brett Ratner, « Jackie Chan est la plus grande exportation que la Chine a fait ».

Il a mis à profit ce succès dans des rôles lucratifs dans d’autres franchises comme Shanghai Kid et Kung Fu Panda, tout en ajoutant deux autres Rush Hour (Ratner est en train de mettre sur pied un éventuel quatrième). Mais contrairement à, disons, Arnold Schwarzenegger, qui a quitté l’Autriche pour devenir un quintessence américaine, Chan s’est toujours soucié de ses fans chinois, retournant à Hong Kong pour réaliser le genre de films sur lesquels il avait construit sa réputation, tout en en prenant également des rôles plus graves. « Je veux être le Robert De Niro ou Dustin Hoffman asiatique » dit Chan.

Jackie Chan a trouvé un allié de taille avec les autorités chinoises, qui l’a recruté pour être un ambassadeur pour les Jeux olympiques de 2008, et Chan finira bientôt par déplacer ses opérations de Hong Kong à Pékin. Une fois domiciliée là, il se trouvait à l’épicentre de l’industrie cinématographique chinoise en plein essor et le gouvernement qui la contrôle.

Bien que Chan insiste pour dire qu’il doit sauter les mêmes obstacles que tout autre cinéaste, il y a peu de doute qu’il a une meilleure chance d’obtenir le financement de ses films que la plupart, comme le démontre récemment Skiptrace : « En raison du processus d’approbation et la guarantie de distribution » dit Philip Button, l’agent de Jackie Chan, « c’était une occasion de travailler ensemble, et ce fut un succès ».

La proximité de Chan avec Pékin – avec ses commentaires moqueurs occasionnelles sur la dissidence de Hong Kong (« Les autorités devraient définir les problèmes particuliers pour lesquels ils peuvent protester ») – lui ont valu le mépris des défenseurs de la démocratie comme Emily Lau, président du Parti démocratique de Hong Kong : « Si vous êtes quelqu’un qui fait et dit toujours que les autorités veulent », dit-elle, « peut-être qu’il est plus facile pour eux d’approuver vos projets ».

Chan se hérisse à la critique. « Je ne devrais pas être proche du gouvernement chinois ? » Il demande quand j’aborde le sujet, en élevant la voix. « Nous sommes chinois ! … Je pense que tout le monde devrait aimer son pays ». Il fait valoir qu’il a aidé à façonner une partie cruciale de l’économie, comme une récente recommandation qui vise à réduire les taxes d’importation sur les équipements de tournage. « C’est une suggestion sur la façon d’améliorer l’industrie du cinéma » dit-il. « Ils écoutent ».

Il y a environ 20 000 écrans de cinéma en Chine, près de la moitié du nombre d’écrans aux Etats-Unis, en dépit d’avoir plus de quatre fois plus de personnes. « Si ils avaient 45.000 écrans », dit Brett Ratner, « avec leur population, une sortie cinéma en Chine pourrait faire 500 M$ en seulement un week-end ».

Il y a cinq ans, lui et un partenaire a construit le Jackie Chan Yaolai International Cinema, un multiplex de 17 écrans à Pékin qui tourne à 50.000 tickets sur les grands week-ends. Ce succès a conduit à une aventure commune à 50/50 pour créer 37 autres cinémas portant le nom de Jackie Chan, chacune avec un stand vendant les goodies de l’acteur.

Jackie Chan développe également son équipe de cascadeur, la Jackie Chan Stunt Team à travers une société de services qui met en relation les studios américains avec des techniciens bilingues en Chine, des coordinateurs de cascades, d’assistants réalisateurs… « Je vais lentement construire un William Morris » dit-il. (NDR. L’Agence William Morris, est une énorme agence artistique US).

En attendant, il va continuer à parier sur des films chinois et sur les coproductions américaines. « Maintenant, je ne suis plus seulement l’acteur. … J’investis aussi » dit-il, et, tandis qu’il ne confirmera pas notre estimation de ses revenus pour cette année, il est heureux de spéculer sur de futurs projets tel un propriétaire de casino qui sait que les chances sont en sa faveur. « Je pourrais perdre 10 M$ » dit-il. « Mais si je gagne, j’en gagne probablement 90 M$ ».

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