En juin 2023, lors de la présentation de Ride On à Tokyo, au Japon, nous apprenions que Jackie Chan allait de nouveau collaborer avec Larry Yang sur un nouveau film, tourné à Macao. Après quelques recherches, il s’est avéré qu’il s’agissait de The Shadow’s Edge, alors uniquement titré en chinois, que l’on pouvait traduire par : « Extreme Thief Stalking ».
La plupart des fans français de Jackie Chan ne connaissaient Larry Yang que grâce à la comédie d’action familiale et sincère qu’est Ride On. Beaucoup se demandaient légitimement si Larry Yang était capable de réaliser un polar d’action. Si le réalisateur s’est un temps tourné vers la comédie animalière, notamment avec Adoring en 2019, il a débuté avec Mountain Cry en 2015, un thriller rural indépendant très soigné.
The Shadow’s Edge marque non seulement le retour de Jackie Chan dans un pur polar d’action, mais aussi un retour aux sources pour le réalisateur, qui retrouve un genre qu’il affectionne particulièrement. De son propre aveu, Larry Yang souhaitait réaliser un thriller dans le style classique du cinéma hongkongais à l’ancienne, tout en y intégrant des éléments contemporains, notamment la technologie et l’intelligence artificielle avec la reconnaissance faciale.
Dans le film, Jackie Chan interprète Wong Tak-Chung, un ancien expert en surveillance de l’unité de police de Macao, qui reprend du service pour diriger une filature autour du redoutable Fu Longsheng (Tony Leung Ka-fai) et de son gang composé uniquement de ses fils adoptifs. Pour ce faire, Wong Tak-Chung va notamment collaborer avec une jeune recrue rebelle (Zhang Zifeng), dont l’apparence ordinaire ne tarde pas à attirer l’attention de l’expert.
Derrière les images particulièrement saisissantes des différents trailers, les cinéphiles les plus avertis auront reconnu Filatures (titre original : Eye in The Sky), réalisé par Yau Nai-hoi et produit par Johnnie To. Dans ce film, Tony Leung Ka-fai incarnait déjà un chef de gang traqué par une équipe de surveillance, avec Simon Yam dans le rôle du maître et Kate Tsui, miss Hong Kong 2004, dans celui de la jeune recrue.
Sorti en 2007, Filatures fait partie des derniers grands thrillers du cinéma hongkongais. Mais au-delà de son concept fort et de sa mise en scène urbaine, précise et chirurgicale, utilisant zooms et longues focales, le film de Yau Nai-hoi, d’une durée d’1h30, ne proposait pas grand-chose, notamment en termes de caractérisation et de récit. Il en résulte un rythme lent et une atmosphère plutôt froide, qui ont rebuté certains spectateurs en quête de plus de dynamisme.
En choisissant de remaker Filatures, Larry Yang saisit l’occasion d’amplifier le récit à coups de stéroïdes, enrichissant l’intrigue d’un arrière-plan plus approfondi autour de la relation maître-élève et de l’impitoyable criminel, auquel il ajoute des liens filiaux, donnant ainsi plus de densité à son film. Avec une durée totale de 2h21, il dispose largement du temps nécessaire pour développer son scénario correctement.
Larry Yang n’est pas étranger au boss de la Milkyway Image. En effet, Hairun Pictures, la société de production dont il est associé depuis ses débuts, a bénéficié pendant plusieurs années du concours de Johnnie To, qui a agi en tant que consultant sur des thrillers tels que Trivisa, Tik Tok, ainsi que sur Drug War, Office et Three, réalisés et produits en collaboration avec Hairun Pictures. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que Johnnie To et Yau Nai-hoi sont remerciés au générique de The Shadow’s Edge.
Et Jackie Chan dans tout ça ?
À 70 ans (sur le tournage), Jackie Chan renoue avec le rôle de policier qu’il avait tenté d’abandonner depuis plusieurs années, animé par l’envie d’explorer d’autres types de personnages. Convaincu par le discours du réalisateur et la participation de son ami Tony Leung Ka-fai (qu’il retrouve après Island of Fire en 1990 et The Myth en 2005), la légende du cinéma d’action accepte de jouer dans un film à la tonalité hardcore, un registre qu’on lui connaît malheureusement trop peu, surtout depuis les années 2000. À côté des images aperçues, son meilleur film post-2012, The Foreigner (2017), paraît presque « lumineux ».
Dans la filmographie de Jackie Chan, The Shadow’s Edge devrait ainsi trouver sa place quelque part entre New Police Story pour son modernisme et The Shinjuku Incident pour son âpreté. Mais ne croyez surtout pas le casting composé d’une partie de la jeune génération d’acteurs relègue Jackie Chan au second plan, à l’image des escroqueries des derniers films de Stanley Tong notamment le navet Vanguard (2020) et le mal fichu The Legend (2024). The Shadow’s Edge est à mille lieues de ce film. Wong Tak-Chung demeure bien l’épicentre de son unité et sera contraint de mettre les mains dans le cambouis. Pas question ici de prendre l’escalier quand les jeunes assurent les moments de bravoure.
Lors d’un showcase début juillet, Larry Yang est revenu sur la genèse du projet : « Dans Ride On, il n’y avait quasiment pas de scènes de combat. Après cette collaboration, Jackie m’a dit : “Je veux te donner un film, le plus intense en matière de combats que j’aie tourné depuis près de dix ans. Quant à l’histoire, écris-la comme tu veux. Mais je peux te promettre que je suis prêt à t’offrir, à l’écran, des scènes que je n’ai presque plus l’habitude de tourner ces dernières années, avec un investissement physique important.” C’est sur cette base de confiance que le projet a trouvé sa direction. Et Jackie n’a pas failli à sa parole : nous avons imaginé pour lui des scènes d’action exigeantes et ambitieuses, auxquelles il s’est consacré avec une intensité rare ces dernières années. Le public ne verra pas seulement renaître la fougue d’antan, mais pourra aussi mesurer le respect qu’impose un artiste capable, à son âge, de livrer encore de telles performances à l’écran. »
En d’autres termes, Larry Yang ne fait pas de promesses creuses : il annonce clairement que The Shadow’s Edge montrera un Jackie Chan comme on ne l’a que trop rarement vu.
La nouvelle génération
Le casting des jeunes comédiens est particulièrement solide. Le talent de l’actrice Zhang Zifeng n’est plus à démontrer. Avec ses prestations dans Sister (2020) ou le récent thriller indépendant Girl on Edge (selectionné à la Semaine de la Critique à Cannes), elle a démontré qu’elle est aussi à l’aise dans le cinéma d’auteur que dans le cinéma populaire (la trilogie The Volunteers de Chen Kaige, High Forces). Elle fait partie des meilleures actrices de sa génération, aux côtés de Zhou Dongyu et Liu Haocun.
Révélé dans le rôle du demi-dieu Yang Jiang dans la trilogie Creation of the Gods, le comédien Ci Sha, qui interprète un double rôle dans le film (un assassin et un hacker son jumeau), fait lui aussi partie du haut du panier jonglant aisément avec des personnalités différentes grâce à son charisme à la fois doux et sauvage. On le retrouvera notamment devant la caméra de Peter Chan dans la deuxième partie de She’s Got No Name ainsi que celle de Yuen Woo-Ping dans Blades of The Guardians, l’adaptation du manhua très populaire du même nom, dont le scénario a été rédigé par… Larry Yang.
De plus, ils sont rejoints par deux comédiens confirmés : Wang Ziyi et l’actrice Lang Yueting (actrice récurrente de la filmographie de Larry Yang), qui se retrouvent tout les deux à nouveau sur un Larry Yang après Mountain Cry. Plusieurs comédiens de l’âge d’or du cinéma HK et habitué du cinéma de Jackie Chan feront également leur apparition comme Melvin Wong et Yu Rongguang mais aussi Kenya Sawada (Thunderbolt) et Yu Xing bien connu des amateurs des films d’arts martiaux des années 2000.
Enfin, la nouvelle génération d’acteurs de films d’action est représentée par Wang Zhenwei (29 ans), révélé tout jeune en 2010 dans le reboot de Karate Kid face à Jaden Smith et membre depuis de la JC Stunt Team, ainsi que par Lin Qiunan, jeune artiste martial de 21 ans dont le style rappelle un Andy On jeune et fougueux, avec des performances particulièrement acrobatiques.
Le directeur des scènes d’action de The Shadow’s Edge est Su Hang, cascadeur de la 7e génération de la Jackie Chan Stunt Team. Il a fait ses armes comme directeur d’action sur la saga japonaise Kingdom lors des prises de vues effectuées en Chine. Plus abouti que ses prédécesseurs coincés dans un style bien trop acrobatique pour le Jackie désormais senior, Su Hang a clairement orienté ses combats autour du Sanda, mais aussi du CQC (Close Quarter Combat) militaire, notamment dans l’utilisation du couteau, tout en adaptant le style particulier de Jackie Chan au ton du film.
Les premiers retours
Depuis le 2 août, The Shadow’s Edge est proposé en avant-première dans une vingtaine de villes. La première vague d’avis est unanime : il s’agit du “meilleur film d’action de l’année”. Certains parlent carrément du “meilleur film sortie cet été en Chine”. Les fans chinois de Jackie Chan le considèrent comme son “meilleur film depuis la dernière décénnie”, supérieur à The Foreigner, avec également ses meilleures scènes de combat depuis Chinese Zodiac en 2012.
Les critiques professionnels, quant à eux, soulignent qu’il y a longtemps qu’ils n’avaient pas vu “un film d’action aussi intense et captivant”. Parmi les points forts qui reviennent le plus souvent, on retrouve bien sûr les scènes d’action, mais aussi un casting remarquable, avec” les superbes préstations de Zhang Zifeng et Ci Sha”, et un “Tony Leung Ka-fai impériale” d’une cruauté étonnante. Son affrontement final avec Jackie Chan reflète parfaitement la tension qui les traverse tout au long du film. Le rythme effréné, soutenu sans relâche du début à la fin, est également fréquemment salué.
Au sein de la récente filmographie de Jackie Chan, je sais qu’après plusieurs décennies de déceptions, cela peut sembler difficile à croire, mais les faits sont là : les avis sur ce film sont à ce jour bien plus élogieux comparés à ceux reçus sur The Foreigner à l’époque.
The Shadow’s Edge détient actuellement le record du film d’action chinois ayant obtenu les meilleures notes à son ouverture sur des plateformes de billeteries comme Tao Piao Piao et Maoyan. Le film semble avoir conquis les fans qui se sont précipités mais également les influenceurs et la critique.
Reste à voir si le grand publique suivra. Compte tenu des récents scores de Jackie Chan, le film vise ouvertement à atteindre en fin de carrière celui de la surprise de l’été dernier, le polar Go For Broke avec Nick Cheung et Ethan Ruan, avec environ 65 millions de dollars. Il est clair qu’un résultat en deçà serait une déception et conforterait les investisseurs dans leur volonté de produire des Jackie Chan destinés à un public plus jeune. En revanche, un succès (à partir de 100M$) “pourrait” donner naissance à une nouvelle franchise et encourager Jackie Chan, ainsi que l’industrie, à miser davantage sur des projets plus matures avec lui… on croise les doigts.
Lors de sa sortie officielle samedi, le 2e phase de bouche-à-oreille prendra toute son importance et sera déterminant pour le destin du film dans les salles. Public plus large, des avis plus mesurés, devraient naturellement faire leur apparition. Mais pour l’heure, il ne fait aucun doute que la hype autour de The Shadow’s Edge est bien réelle.
Le film de Larry Yang sortira en Chine, en Malaisie (dont les avants premières cartonnent), en Indonésie et à Singapour, le 16 août, avant d’arriver le 28 août aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, en sortie limitée et en Thailande le 11 septembre.
Aucun distributeur ni éditeur français ne semble, pour l’instant, avoir eu le flair nécessaire pour réagir à ce “Jackie Chan” décidément très (très) prometteur.
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