[critique] HIDDEN STRIKE de Scott Waugh (2023)

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Cinq ans entre le tournage et la sortie d’un film, ce n’est jamais un bon signe. Durant ces cinq années, j’ai pu témoigner ici-même des difficultés que la production a rencontrées : une star (Stallone) qui abandonne avant le tournage, des décors emportés par une tempête pendant la production, une guerre commerciale américano-chinoise et le coup de grâce avec la pandémie de covid-19 entrainant la faillite économique de la société de production principale. On appelle ça un blockbuster maudit.

C’est donc en restreignant mes attentes que j’ai entrepris le visionnage de Hidden Strike sur Netflix (titré en France, Project X-Traction). Et pour ne rien arranger à la situation, un aphte mal placé et douloureux depuis quelques jours allait m’accompagner durant le film.

A travers la bande-annonce diffusée deux mois plutôt, on savait les effets numériques totalement ratés. Mais s’accrocher uniquement à cela, ça serait nier la puissance d’évocation du cinéma.

Le film s’ouvre directement sur une mission d’extraction à haut-risque des employés d’une raffinerie pétrolière chinoise au cœur du désert Irakien suite à des menaces de groupes de mercenaires rebelles. Et la première chose qui frappe, c’est l’atmosphère pesante et efficace de cette première partie. La mise en scène de Scott Waugh n’y est pas étrangère. Clairement, on retrouve les expérimentations du réalisateur qu’il a entrepris sur Act of Valor et Need For Speed.

Son ballet d’hélicoptères, son buggy équipé de machine-gun et ses tirs de suppression font clairement de ces 40 premières minutes un film d’action sous stéroïdes avec des éléments que l’on voit davantage dans un blockbuster hollywoodien que dans un « Jackie Chan Movie ». Il est d’ailleurs surprenant de voir la légende du cinéma d’action en tenue militaire, fusil de précision en main, a bord d’un hélicoptère militaire.

Par le passé, Jackie Chan a interprété un garde-côte de Hong-Kong au début du XXe siècle dans Le Marin des Mers de Chine. Il est apparu rapidement en combattant des forces spéciales durant l’introduction de Who Am I (1998). Dans The Foreigner (2017), il interprète un ancien membre des forces spéciales à la retraite. C’est donc la première fois que Jackie Chan incarne intégralement un militaire moderne en fonction.  Et ça le fait pas mal.

Durant cette première partie, on ressent le danger de la situation notamment lorsque le convoi pénètre dans une tempête de sable qui n’est pas sans rappeler Mad-Max Fury Road. Mais la comparaison s’arrête là. Avec ses mercenaires grimés comme dans un post-apo et son village en manque de ressources notamment en raison de la rareté de l’eau, Hidden Strike utilise les codes de la dystopie initiée par la saga Mad-Max en général et finit par faire de Hidden Strike un film d’action proche d’un film d’anticipation. (lire l’entretien accordé par le scénariste Arash Amel qui explique pourquoi ils ont été obligé de réécrire le script après l’intervention de la censure chinoise).

Si le film se contente judicieusement (on n’est pas devant un thriller géopolitique) du strict minimum concernant le background des personnages notamment en ce qui concerne la relation entre Chris Van Horn et son frère Henry, c’est pour mieux se concentrer sur les atouts de ses deux interprètes principaux : Jackie Chan et John Cena. Deux superstars qui s’expriment avant tout par leur physique. A la fois inattendu mais clairement évident à sa vision, le duo est clairement le point fort du film. Et le script va clairement puiser dans ce qu’ils ont de meilleur faisant de la seconde partie de Hidden Strike un parfait buddy-movie. Car contrairement aux Rush Hour ou les Shanghai Kid qui reposaient la dynamique antagoniste de leur duo sur les dialogues, le scénario d’Arash Amel a eu l’ingéniosité de la faire se reposer avant tout sur le langage gestuel militaire. Soit l’expression du corps comme moyen narratif et ça marche parfaitement. Là, ou dans Rush Hour et Shanghai Kid, Jackie paraissait diminué en dehors de l’action. Dans Hidden Strike, c’est le parfait équilibre et avec l’alchimie entre les deux superstars, le film réussit là où Skiptrace (titré La Filature sur Netflix) avait échoué.

Le duo est si hilarant qu’on n’oublie que Stallone devait au départ incarné Chris Van Horn. Avec son côté « gros lourdaud » poussé à fond, la présence de John Cena apporte clairement une touche d’ironie à l’entreprise. Si on pousse le concept, on pourrait imaginer la version moderne de Bud Spencer et Terrence Hill.

De plus, les scènes d’actions et les combats « old school » sont franchement réussis. Jackie Chan est toujours en grande forme malgré la soixantaine bien entamée (il avait 64 ans sur le tournage). Si on pouvait souhaiter un combat plus long entre Jackie Chan et John Cena, celui-ci ne déçoit pas et permet à chacune des deux superstars de briller dans leur style respectif. L’agilité pour Jackie, la puissance pour la star de la WWE.

On regrettera cependant l’absence d’un mano-à-mano plus conventionnel entre Jackie et le mercenaire Knox. Mais tout le génie de Jackie Chan transpire le temps d’un combat à base d’élastiques géants et de mousse, qui n’est pas sans rappeler le combat dans le casino sur les « trampolines » de Thunderbolt (1995) et celui également sur trampolines dans Rob-B-Hood (2006). Si l’action est moins dangereuse, le génie de Chan est toujours là, intact. Et les deux superstars semblent s’amuser comme des fous pour le plaisir des spectateurs.

La musique de Nathan Furst n’est pas en reste et soutient parfaitement l’action avec ses riffs totalement « bad ass ». Le sound design et le mixage réalisés dans les studios de post production à Hollywood est aussi un bon point qu’il faut noter.

En fin de compte, il est désolant de s’apercevoir qu’Hidden Strike aurait pu être un excellent film totalement décomplexé si la production n’avait pas failli à sa première mission. Sans doute, un échec lié au manque d’expérience pour ce type de production à gros budget de la part des principaux producteurs.

On reprochera notamment le choix de tourner une partie de l’action dans le désert intégralement sur fond vert ou bleu comme Hollywood le fait avec ses films de Super-Héros. Et de ce côté-là, Hidden Strike n’est en fin de compte pas plus moche qu’une production Marvel (Pensez à Thor 4 et le dernier Ant-Man) ou DC Comics (pensez à The Flash ou Aquaman). Paradoxalement, la mauvaise exécution des effets numériques participe aussi au ressenti d’être devant un film d’anticipation, finissant par créer un « univers parallèle » avec sa pauvre et ratée direction artistique.

Pour ceux qui sont familiers de la filmographie de Jackie Chan, on reprochera également quelques scories liées à ses films avec pour la énième fois, un sempiternel problème père/fille totalement inutile et qui alourdi son personnage. Mais rassurez-vous, le traitement reste modéré et cela sert aussi de prétexte pour relancer les tensions (comiques) entre les deux héros.

Si Hidden Strike joue clairement avec le cinéma des 80’s, on regrettera également qu’il ne joue pas assez à fond sur l’archétype du héros d’action US de cette époque.

Malgré ses défauts, Hidden Strike parvient sans problème à tenir éveillé le spectateur désireux de prendre du bon temps devant un film d’action décontracté et testostéroné. Une tonalité « blockbuster » qui manquait clairement à la filmographie de Jackie Chan. Car oui, le film de Scott Waugh vole au-dessus des navets que sont Kung Fu Yoga (2017), Bleeding Steel (2018), Knight of Shadows (2019) et Vanguard (2020). C’est aussi un effort indéniable de Jackie Chan qui avait pourtant juré qu’il ne ferait plus de gros films d’actions en 2012 lors de la sortie de Chinese Zodiac.

Plus globalement, on saluera l’originalité et le délire du projet, à l’heure, où les blockbusters US ne sont que des suites, reboot, remake et où les films d’actions ne sont que des vitrines de cascadeurs qui se prennent bien trop au sérieux pour ce qu’ils racontent.

En conclusion, Hidden Strike rentre dans la catégorie de ces films à l’exécution ratée mais « sincère ». Un blockbuster maudit pour lequel Je n’ai jamais regardé une seule fois ma montre au point de m’étonner de l’apparition du générique de fin. Aie ! mon aphte me fait à nouveau souffrir.

 

 

 

11 Comments
  • Newkolby

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    Merci tirry pour la critique. du courage et bonne continuation.
    Hidden STRIKE fait son taf. On parle de sfx raté mais en réalité, il est meilleur que plusieurs dont le budget équivaut ou même supérieur.
    Je crois bien que s’il avait un temps soit imaginer que le film sortirait directement en VOD, je pense bien que le film serait encore meilleur car le réalisateur aurait la main mise et je ne pense

  • Newkolby

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    le film serait encore meilleur car le réalisateur aurait la main mise sur son sujet et je ne pense pas qu’il aurait subi tel traitement. D’après les dires du scénariste, et vue qu’il etait conçu d’abord pour le marché chinois pour rivaliser avec Wolf warrior 2, pourtant meilleur, le film a été finalement subi les pires sévices qu’un film peut craindre

  • dragonheart

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    Je me suis également plutôt bien amusé en regardant Hidden Strike. La comparaison avec Vanguard est intéressante car les deux films sont proches. Qu’est-ce qui fait que le premier fonctionne, et l’autre pas ? Avant tout, Jackie est ici l’acteur principal et pas relégué derrière des nobody.

    Ensuite, Hidden Strike a de meilleures interactions entre les personnages et de l’action mieux ordonnée, là où Vanguard est un foutoir total qui file la migraine. Les éléments légers de sci-fi ne m’ont pas dérangé. Il y a une certaine folie dans le concept et dans les scènes avec le turbo réacteur que j’ai plutôt appréciés. La musique est également meilleure. Comme tu le dis, ces quelques notes percutantes et récurrentes font plaisir à entendre. A l’inverse, Nathan Wang est un compositeur médiocre de musique d’ascenseur et je suis ravi que les américains l’aient remplacé, notamment sur Contre Attaque. Revoyez la scène de snowboard et de l’échelle avec la musique originale et la musique US, la différence est pour moi énorme.

    Alors oui, les effets spéciaux de Hidden Strike sont imparfaits et laissent une impression de camelote. Mais ça ne m’a pas plus choqué que la poursuite finale de Vanguard.

    Je n’ai pas trouvé l’humour toujours efficace. Il paraît forcé à certains moments. La meilleure idée reste les malentendus concernant le langage des signes militaires et les check dans le vent. On est quand même loin des punchlines viriles et hilarantes des années 80 (L’arme fatale, Commando). Mais Jackie a rarement fait dans la virilité. Sauf quand il s’énerve (Police Story) ou encore dans Double Dragon (Boomer) et dans Crime Story (son rôle le plus virile à ce jour).

    Je mets un gros bémol sur la scène dans la mousse. Elle est complètement à côté de la plaque. C’est beaucoup trop comique et enfantin par rapport à un film qui se veut plus teigneux. Il aurait fallu un final fight brutal comme quand Jackie projette Knox à travers la vitre. Je ressors toujours un peu frustré d’un film de Jackie post-2000. J’en attends plus. J’en veux plus. Sur la poutre, on le voit même retenir un terroriste puis s’excuser de le faire tomber, un comble ! Non, il doit chuter lourdement et douloureusement, à l’ancienne. Jackie semble toujours soucieux de ne froisser personne, tant physiquement que moralement. On aimerait le décoincer un peu, qu’il retrouve sa fougue et son insolence d’antan. Le décalage est saisissant avec la grossièreté, voire la lourdeur, de Cena dans le bêtisier.

    Au final, Hidden Strike parvient miraculeusement à limiter la casse grâce à son énergie et sa générosité bien maîtrisées. Mais ses défauts l’empêchent d’être un très bon cru.

    • Tirry

      @Newkolby
      Merci. Les sévices dont tu parles font partie du métier hélas. Avec le mouvement wokisme et la bien-pensance, en France et aux USA aussi, on a tendance à faire rentrer dans les clous un script qui aurait l’outrecuidance de prendre ces aises avec une époque de plus en plus obscurantistes et sectaires.

      Mais ce qui a considérablement sabordé Hidden Strike, c’est bien le nerf de la guerre : l’argent. Et le budget divisé par deux suites aux problèmes économiques de la production délégué.

      @Dragonheart
      Oui je suis d’accord avec toi sur les fameux scories. Mais contrairement à toi, j’ai conscience que c’est peine perdu d’espérer autre chose en dehors d’une initiative autres que celle de Jackie lui-même et son ami Stanley Tong (même famille quelque part). En sachant, qu’il y a aussi les réalisateurs qui engagent Jackie pour ce qu’il est. Bref, tu n’as pas fini de tourner en rond si tu veux mon avis.

      Donc en l’état, c’est à dire en prenant compte de l’intention (et pas du film qu’on voudrait voir), la scène des élastiques/mousse est sympa et ingénieuse. Et bien supérieur à tout ce que Jackie a fait entre 2017 (hors The Foreigner) et 2021.

      Il faut juger les films de Jackie (surtout ceux dont il est à l’initiative) par rapport à leurs intentions. Sinon aller chercher ailleurs ce que l’on ne trouve pas chez lui. Jackie fait dans la comédie d’action familiale. Les films comme, Crime Story, Little Big Soldier, (quelque part le remake de Karate Kid et Dragon Blade), The Foreigner, Shinjuku Incident sont des « accidents » et émanent de forte personnalité derrière la caméra. Et tu vois bien que les auteurs qu’il soit chinois ou américain, ne se bousculent pas pour tourner avec lui.

  • dragonheart

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    Cette scène dans la mousse ne m’aurait pas dérangé s’il y avait à côté un combat final. J’ai également souvenir d’un plan dans le village où Jackie frappe en hors-champ un terroriste à terre. En hors champ quoi… On dirait qu’il renie tout son travail des années 80-90.

    Je garde espoir car je me dis que ses derniers chiffres catastrophiques au box office vont l’obliger, par orgueil, à réagir s’il ne veut pas tomber vraiment dans l’indifférence. Le succès de Hidden Strike est peut-être une bonne nouvelle pour l’inciter à se réorienter, revenir en fait à la formule « Jackie Chan » d’origine.

    Je mise sur NPS 2 avec Nicholas Tse qui vient de l’école Benny Chan et Dante Lam.

    • Tirry

      Son cinéma c’est adouci en vieillissant clairement.

      Concernant NPS2, peut-être. Nicholas Tse semble en effet attiré par le cinéma musclé (voir son travail en tant qu’action designer (avec Alan Ng de la JC Stunt Team) sur le dernier Herman Yau (Custom Frontline). Maintenant, peut-être que dans NPS 2 c’est lui qui prend la relève dans le film. Je ne le souhaite pas, mais il faut désormais s’attendre à ce que Jackie en fasse moins. J’attends de voir quelques signes de l’inverse.

  • Newkolby

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    Exactement, j’ai confiance en Nicholas… Ces derniers films nous le prouve. A commencer par Invisible target jusqu’à ranging fire. Il connaît ce que c’est l’action en tant que acteurs ce qui l’aidera en tant que réalisateur. J’ai vraiment envie que Jackie laisse tomber pour cette fois son JC stunt team, ou du moins qu’il ne soit pas la base des chorégraphies de ses combats.

    • Tirry

      N’oubliez pas que Jackie Chan aura 70 ans sur le tournage de NPS2. J’espère que vous avez conscience qu’il sera doublé également. Ca ne peut plus être comme avant. C’est la vie.
      Par rapport aux combats, Jackie Chan n’est plus le chorégraphe depuis bien longtemps. Il ne gère que ça partie à lui. C’est à dire les mouvements qu’il peut faire ou pas.

      Le style de combat que Jackie serait encore en mesure de faire assez facilement, c’est la boxe. Donc les poings uniquement.

  • Aerosmith

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    Hidden strike a vraiment CARTONNE sur Netflix (je n’ai pas Netflix ou un autre truc de ce genre, mais…ça fait presque plaisir après avoi lu des tonnes de critiques remplies de haine).

    J’ai bien aimé ce film malgré tout: le meilleur duo Chan/… depuis Chan/Wilson, les gags vraiment drôles, je n’ai pas regardé ma montre, la fin qui change un peu (sans combat), une BO pas trop Zimmer,…

  • Aerosmith

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    « Avec le mouvement wokisme et la bien-pensance, en France et aux USA aussi, on a tendance à faire rentrer dans les clous un script qui aurait l’outrecuidance de prendre ces aises avec une époque de plus en plus obscurantistes et sectaires. »

    Ça fait vraiment plaisir de lire ça. Ce mouvement woke n’est rien d’autre que du fascisme qui n’ose pas dire son nom (certains sites de cinéma s’y sont mis).

    • Tirry

      On est bien d’accord

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